David Berty: « Le jour où j’ai décidé de m’assoir dans un fauteuil »

Laurent Delmas : David Berty bonjour et merci tout d’abord d’avoir accepté mon invitation. Parle-nous de ton club et du rugby fauteuil.

David Berty: Le Stade Toulousain Olympique XIII est la fusion du Stade Toulousain Handi et des Toros du TO13 qui évolue en championnat de France élite 2.
Concernant le rugby fauteuil il faut d’abord distinguer les deux disciplines. Il y a le rugby-fauteuil ou quad rugby, réservé aux personnes atteintes des membres supérieurs et inférieurs. Ce handisport, qui se joue avec un ballon rond, est une discipline officielle aux jeux paralympiques. Les règles sont celles du football américain.
Le rugby à XIII en fauteuil roulant se joue à 5 contre 5 avec un ballon de rugby, les règles sont celles du rugby à XIII. Comme au rugby les passes doivent être effectuées vers l’arrière. Les joueurs sont équipés de flags que les défenseurs doivent arracher (dans ce cas il y a plaquage). Il est possible de « jouer au pied » en frappant le ballon avec le poing fermé, on peut même taper un drop du poing. L’essai vaut 4 points, la transformation et la pénalité 2 points. Ce sport est réservé aux personnes atteintes aux membres inférieurs, mais il est également ouvert aux personnes ayant d’autres handicaps, par exemple ceux qui portent des prothèses aux hanches, ou des personnes comme moi atteintes de sclérose en plaques.

match de rugby fauteuil

David Berty: « Je me suis dit que j’allais aller contre l’avis des médecins et que j’allais me remettre à faire du sport. »

Ce que j’aime beaucoup dans cette discipline c’est qu’elle est aussi ouverte aux personnes valides et qu’elle est mixte. J’ai trouvé ce mélange, ce « vivre ensemble », vraiment super.

LD : Et cela t’a permis de retrouver la compétition. En quelque sorte le rugby t’a permis d’être, et de renaître…

DB : Oui effectivement, j’avais tout arrêté pendant 5 ans. Je ne faisais plus rien du tout parce qu’on m’avait dit que pour moi c’était terminé, que je ne pourrai plus faire de sport. J’ai vu mon corps se transformer en Bibendum chamallow, et lorsque j’ai atteint 106 kg je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose, que je ne pouvais pas rester comme ça. En me regardant je m’écœurais. Alors je me suis dit que j’allais aller contre l’avis des médecins et que j’allais me remettre à faire du sport.

Ailier du Stade Toulousain David Berty

Dans les années 90 David Berty a remporté 4 boucliers de Brennus consécutifs avec le Stade Toulousain

Lorsque j’ai repris une activité sportive par le biais du rugby fauteuil, j’ai d’abord voulu jouer à ma manière, comme je l’avais toujours fait : le plus vite et le plus fort possible. Je n’y arrivais pas et je m’énervais. Mes coéquipiers m’ont fait comprendre que cela ne servait à rien de lutter contre un handicap, parce qu’on sait très bien qui va gagner. Mais ils m’ont appris que l’on pouvait apprendre à vivre avec.
Alors j’ai pris la décision de tout recommencer à zéro. Je me suis dit que j’allais repartir comme si j’étais un gamin. Je me suis fixé de tout petits objectifs, que j’ai atteint au fil des mois, et au bout d’un an lorsque j’ai vu le chemin que j’avais parcouru je me suis dit « c’est bien, continue comme ça ». Et depuis je ne m’arrête plus : en 2013 j’ai stoppé mon traitement contre la sclérose en plaques (je ne prends plus rien). J’ai fait le point avec ma neurologue, je lui ai dit que mon traitement dorénavant ce serait le sport, associé avec la cryothérapie et la photobiomodulation (thérapie par laser de faible énergie stimulant les fonctions métaboliques : effets antalgiques, anti-inflammatoires ou cicatrisants). Je surveille aussi mon alimentation : plus de lait de vache, moins de viande rouge. Avec le recul lorsque je regarde la photo quand je pesais 106 kg et que je vois ce que je suis devenu en reprenant le sport je me dis que j’ai pris la bonne décision. Le rugby fauteuil c’est ma fierté : la maladie m’a exclu du rugby à XV et du Stade Toulousain, et à présent je retouche un ballon de rugby et je reviens au Stade Toulousain. La première fois que j’ai reporté un maillot du Stade Toulousain j’ai versé une petite larme…

LD : J’imagine ce que cela représente pour toi de revêtir à nouveau le maillot rouge et noir après cette période difficile. La vie est parfois comme un ballon de rugby : après être tombé, on peut rebondir dans une direction que l’on n’avait pas forcément prévue. Cette épreuve t’a amené vers un sport que tu n’aurais jamais envisagé pratiquer.

BD : Ah oui pas du tout ! Lorsque le diagnostic est tombé j’ai passé cinq ans avec le fantôme du fauteuil roulant dans ma tête. Donc lorsqu’on m’a proposé ce sport, si j’ai été séduit à l’idée de retoucher un ballon de rugby, lorsqu’on m’a dit qu’il fallait jouer dans un fauteuil roulant j’étais forcément très réticent. Mon entourage a mis beaucoup de temps à me décider. Le jour où je suis allé voir un entraînement pour la première fois, je suis resté un long moment sur le parking, en cherchant une dernière excuse pour ne pas entrer. Je m’attendais à rencontrer des gens tristes qui essaient tant bien que mal de jouer au rugby, et je me disais « qu’est-ce que je vais faire là ?». En poussant la porte j’ai vu un groupe en train de rigoler autour d’un ballon qui circulait. J’ai vu des passes sautées, des croisées, j’ai vu des joueurs marquer des essais et s’éclater ensemble. J’ai senti un appel et je me suis dit : « David, qu’est-ce que t’as pas compris ? Qu’est-ce qu’il te manque pour ne pas aller avec eux ? » Après avoir regardé l’entraînement je leur ai dit que j’allais revenir, que j’allais essayer… Ce jour-là j’ai pris la décision de m’asseoir sur un fauteuil.

LD : Tout est parti de là…

DB : Oui. Le jour de mon premier entraînement j’ai dit à mon entraîneur que je ne voulais pas toucher le ballon, car je voulais d’abord maîtriser le fauteuil. Donc je tournais en rond tout seul dans le gymnase, pendant que le groupe était en train de s’éclater et de jouer au rugby. Je me demandais pourquoi ils étaient comme ça, j’avais l’impression que je ne pouvais pas être comme eux. L’entraîneur m’a lancé le ballon de rugby. Je l’ai rejeté, à plusieurs reprises. Puis à un moment je l’ai attrapé et j’ai fait une passe, puis deux, et je me suis mis à jouer avec eux. A la fin de la séance l’entraîneur m’a dit : « Dimanche on a un match, tu viens. ». Encore une fois j’ai reculé, je lui ai dit que je ne maîtrisais pas le fauteuil et que j’allais être ridicule. Je n’étais pas prêt. Mais il a insisté. Le jour du match j’ai retrouvé un rituel oublié : préparer mon sac de sport, aller au rendez-vous, prendre le bus avec les autres joueurs, pénétrer dans un vestiaire et sentir l’odeur de l’huile de camphre… alors… je ne me souviens pas vraiment s’il y avait une odeur de camphre, mais un tsunami de sensations, de souvenirs me sont tombés dessus. Un premier maillot trempé de sueur, puis un deuxième, et ce qui pour moi avait commencé comme un loisir s’est converti en une compétition à part entière lorsque j’ai découvert le championnat de France : « Et pourquoi pas devenir champion de France, pourquoi pas rejouer en équipe de France ? » Je voulais gagner. Si on vise cette année le titre de champion de France, tel le Phoenix je renaît de mes cendres.

David Berty champion

Retrouver la compétition, la meilleure façon de combattre la sclérose en plaques

LD : Et tu redeviens un compétiteur et un joueur de rugby à part entière, au moment où tes anciens coéquipiers et adversaires ont définitivement raccroché leurs crampons Justement, et si tu le veux bien, ouvrons ensemble l’album souvenir du Stade Toulousain. Raconte-nous ton premier match en tant que titulaire, et dans quelles circonstances tu as été sélectionné pour le jouer.

DB : Alors mon tout premier match c’était dans le cadre du challenge Béguère (tournoi de rugby à XV organisé par le FC Lourdes, en mémoire de son président et maire Antoine Béguère). On jouait à Carcassonne contre Perpignan. J’ai une anecdote d’avant match à raconter. J’étais encore junior Reichel, et un mercredi à l’entraînement mon coach m’a dit que je devais aller dans le vestiaire numéro un parce que ce weekend j’allais jouer avec l’équipe première sénior. Très surpris, et pas du tout préparé, je me dirige vers le vestiaire numéro un. Mais la porte était fermée, je ne savais pas que faire. Puis comme je suis poli, j’ai frappé à la porte. Dès que j’entre, fou rire général parce que j’avais tapé à la porte. Très gêné au milieu de ces joueurs qui étaient pour moi mes stars, je cherche du regard un endroit où m’installer, et je finis par m’asseoir par terre, de peur de prendre la place d’un joueur. Nouveau fou rire général des tauliers de l’équipe. Après ce premier contact avec mes futurs coéquipiers, le match contre Perpignan s’est bien passé, puisque j’ai été plusieurs fois rappelé en tant que remplaçant.

Puis mon premier match en championnat fut contre le Racing Club de France, à leur époque showbiz. Ce jour-là les joueurs du Racing s’étaient noirci le visage avec du cirage. Dans les dernières minutes de la partie j’ai eu la balle de match suite à une interception. J’avais tous les défenseurs à mes trousses et je n’arrêtais pas de me retourner, persuadé que mon vis à vis Philippe Guillard allait me rattraper. Le ballon m’échappe des mains à 5 mètres de l’en-but, je n’ai pas marqué et on a fait match nul.

LD : L’entraîneur du Stade Toulousain était déjà Guy Novès ?

DB : Oui il faisait parti du trio avec Villepreux et Skrela. Cette année-là nous avons été champions de France face à Toulon. Le groupe était composé par Dupuy, Rancoule, Codorniou, Charvet, Rougé-Thomas, Cazalbou, Janik, Cigagna, Maset, Lecomte, Cadieu, Miorin, C. Portolan, Soula, Laïrle, G. Portolan, Coumes, Bonneval, Lopez, Savio.

LD : Donc dès la première saison avec le Stade Toulousain tu remportes ton premier bouclier de Brennus, bravo ! Quelle est la meilleure action de ta carrière ?

DB : Il y en a beaucoup, mais l’essai le plus déterminant à mon sens est celui que j’ai marqué face à Brive en 96 en finale du championnat de France. Petite anecdote à ce sujet, après notre victoire face à Dax en demi-finale un journaliste m’avait demandé quel était le plus bel essai que j’avais marqué cette saison. Du tac au tac je lui ai répondu : c’est celui que je vais marquer samedi prochain !

LD : Tu ne croyais pas si bien dire ! Tu as marqué suite à un coup de pied par-dessus la défense briviste…

DB : Oui, le match était très serré, face à une équipe briviste à son apogée. Il restait quelques minutes à jouer et Christophe Deylaud m’annonce qu’il va taper et me dit de monter. Et là je pars avec une seule idée en tête, regarder le ballon, ne pas le quitter des yeux en me disant qu’il est à moi. Je saute haut, l’attrape et marque l’essai libérateur. J’ai hurlé à m’en casser les cordes vocales.

LD : Et tu as dédié cet essai à Eloïse, la fille du talonneur Christophe Guiter, née le jour de la finale. Tu dois te demander comment je sais cela ? Ce jour-là tu as été élu talent d’or et interviewé à la fin de la rencontre, que l’on peut voir en intégralité sur Youtube : David Berty en Finale du Championnat de France de Rugby en 1996 Brive Stade Toulousain

LD : Quel est ton meilleur chrono sur un 100 mètres ?

DB : Ben… Je sais pas ! (rires). Peut être qu’on m’a chronométré, mais je n’ai jamais eu la curiosité de savoir, parce que j’avais toujours l’impression d’aller plus vite sur un terrain que sur une piste. Je pense que je devais tourner aux alentours des 11 secondes.

LD : Quel est le joueur de rugby qui t’a le plus impressionné dans ta carrière ?

DB : (sans hésiter) Jonah Lomu !

LD : Du coup ça répond à ma question suivante : quel est le meilleur ailier du monde, à part David Berty. ?

DB : (éclate de rire) Jonah Lomu c’est le summum, il n’y a pas mieux je pense.

LD : Quelle est ta plus folle troisième mi-temps ?

DB : Ouf ! Il y en a plein, il y en a eu beaucoup (rires). Les plus mémorables soirées sont celles après un titre. Surtout le premier, quand tu as 19 ans et que tu te retrouves avec le bouclier ! Après il y a le trophée de 96 pour l’essai, et celui de 97 parce qu’on fait un quadruplé. Quatre boucliers d’affilée c’est quelque chose de rare. Au Stade Toulousain quand on finissait le tour d’honneur on se regardait tous et on se disait : l’année prochaine on revient. A peine le match fini !!! J’ai une autre anecdote… Je peux ?

LD : Oui bien sûr, avec plaisir ! (rire)

DB : En 1985 mon père m’a emmené au Parc voir la finale Toulouse – Toulon. C’était la première fois que j’allais voir une finale, et cette année-là elle fut magnifique, avec des prolongations en guise d’apothéose. Lorsque j’ai vu le tour d’honneur des toulousains avec le bouclier de Brennus je me suis dit qu’un jour il faut que je sois en bas ! En 1989, lorsque j’ai foulé la pelouse du Parc des Princes, je me souviens très bien que la première chose que j’ai fait c’est de regarder la partie de la tribune où j’étais spectateur 4 ans auparavant.

LD : Tu as également été sélectionné à six reprises en équipe de France, c’est à la fois une reconnaissance et une consécration.

DB : Oui bien sûr c’est valorisant d’être appelé en équipe de France. Mais personnellement… Je n’étais pas dans mon élément, je n’étais pas avec mes copains. C’était différent je n’y retrouvais pas les mêmes choses qu’en club. Une équipe nationale quelque part c’est plus individuel, dans le sens où l’entraîneur doit construire une équipe en choisissant des individualités.

LD : Je comprends… Un mot sur l’équipe de France actuelle ?

BD : Ça fait vraiment plaisir de les voir jouer, et les voir gagner avec la manière. En espérant que cela va durer.

LD : Un pronostic pour la Coupe du Monde ?

DB : La Coupe du Monde c’est la Coupe du Monde. On dit que les équipes comme les All-Blacks ou l’Afrique du Sud on les a battus, mais je me méfie énormément de ces nations, sur un match elles sont toujours au rendez-vous.

LD : Donc prudence. David si tu le veux bien nous allons terminer cet interview en évoquant ton nouveau défi, à savoir l’escalade du Kilimandjaro pour laquelle tu te prépares déjà physiquement. Est-ce que ce nouveau challenge correspond à un besoin permanent de compétitions en toi ?

DB : Non, l’idée n’est pas de moi. En fait c’est Vanessa Morales est l’instigatrice de ce projet. Vanessa est une grimpeuse murétaine expérimentée, qui détient d’ailleurs le record de vitesse de l’ascension du Kilimanjaro. Elle m’a contacté un jour pour me dire qu’elle projetait l’ascension du Kilimanjaro avec un groupe, en compagnie de Marc Lièvremont, Laurent Arbo, Thomas Castagnaide, Sébastien Morizot et d’autres participants. Elle m’a dit : « On veut t’amener ». Je lui ai dit non cela n’est pas possible. Mais elle a insisté et finalement dans ma tête le mot impossible a été remplacé par le mot possible : je lui ai dit banco on y va. Si j’y arrive tant mieux, si je n’y arrive pas j’aurai essayé. Dans ce projet c’est l’aventure humaine qui m’anime. Je ne veux pas avoir le regret de me dire pourquoi je ne l’ai pas fait ?

LD : Et bien David je vois que tu seras en très bonne compagnie, je te souhaite de partager de bons moments durant cette expédition. Merci infiniment d’avoir accepté de répondre à mes questions, bonne réussite dans tous tes défis, et à bientôt !

Laurent Delmas

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