Interview de Jean-Charles Bouchoux, l’invité surprise de « Rugby à XV de France »

Psychanalyste, écrivain et conférencier, Jean-Charles Bouchoux a également occupé les fonctions de directeur de l’IFP (l’Institut Freudien de Psychanalyse). Il a contribué à la formation de thérapeutes, psychanalystes et personnels confrontés à la relation d’aide psychologique (tuteurs, AS…). Vous avez peu de chance de l’apercevoir dans un stade de rugby, cependant il apprécie les vertus de ce sport et il aime l’esprit rugby. J’ai pensé que l’opinion d’une personne extérieure au monde de l’ovalie pouvait être intéressante, et c’est avec plaisir qu’il s’est prêté au jeu des questions. Jean-Charles Bouchoux pense qu’il faut avoir avant tout un esprit de guerrier pour réussir dans le rugby, que la surmédiatisation et la professionnalisation sont nuisibles à la performance sportive, que les joueurs devraient couper les ponts avec les réseaux sociaux et les médias avant toute compétition, et d’une manière générale, que les sportifs devraient revenir vers l’essentiel, à savoir le sport.

Interview de Jean-Charles Bouchoux

Jean-Charles Bouchoux bonjour, parlons tout d’abord d’identité nationale dans le sport. Pensez-vous qu’il existe des particularités propres à nos sportifs made in France ? Croyez-vous que comme pour chaque individu, chaque pays possèderait un profil psychologique spécifique, une sorte de matrice qui influencerait le comportement de ces sportifs ?

 

Photo de Jean-Charles BouchouxBonjour Laurent. Oui je le crois, à chacun ses particularités liées à son environnement d’une manière globale. C’est fluctuant aussi, cela change avec le temps. Nous les français le voyons bien, un jour on est des gagnants, un jour on est des perdants. C’est impressionnant d’ailleurs comme cela peut basculer de l’un à l’autre dans notre cas. Chaque nation produit plus ou moins des gagnants. Je pense aux All Blacks, ce sont de façon naturelle des guerriers et ils réussissent très bien dans la pratique du rugby…

Effectivement, ce petit pays de 4 millions d’habitants domine la planète rugby avec seulement 30 000 licenciés seniors (contre 110 000 en France). Nous les battons parfois mais cela relève de l’exploit.

Les résultats du dernier tournoi des six nations l’ont encore confirmé, l’équipe de France de rugby peine à obtenir des résultats réguliers. Quel est votre avis à ce sujet, manquons-nous de rigueur, serait-ce notre côté latin qui nous fait passer sans transition des exploits aux défaites de façon si déconcertante ?

Photo de Jean-Charles BouchouxJe ne sais pas si « côté latin » est approprié. Regardez, les romains étaient de grands guerriers parce qu’ils étaient très organisés. Et les allemands par exemple sont très rigoureux mais ils n’ont pas forcément de meilleurs résultats sportifs pour autant. Je crois qu’il y a un juste milieu à trouver entre la créativité et la rigueur, mais je pense que la mouvance des résultats des sportifs français vient surtout du fait que les français se remettent beaucoup en question. Attention, c’est d’abord une qualité la capacité à se remettre en question, mais à un moment donné il faut cesser de se poser des questions pour passer à l’action. Il faut avoir des certitudes et se lancer.

Toujours au sujet de la régularité des résultats, les équipes qui ont un niveau de jeu constant, comme les britanniques par exemple, sont en général des équipes qui maîtrisent bien la technique de leur discipline. Je ne suis pas entraîneur, mais peut-être qu’en France nous sommes plus brouillons dans l’apprentissage de la technique, ou bien nous ne faisons pas des apprentissages une priorité. On met aussi souvent de fortes primes au résultat, je me demande si cette façon de faire n’est pas finalement contre productive, si cela n’engendre pas une pression supplémentaire. Il faut plutôt chercher à se libérer des pressions délétères pour se mettre en conditions de réussite, et ne parler que de la performance sportive. On ne gagne pas parce qu’on va toucher beaucoup d’argent en cas de victoire, on gagne parce qu’on est les mieux préparés, les plus forts.

Pensez-vous qu’il y a trop d’argent dans le sport ?

 

 

 

 

Photo de Jean-Charles BouchouxL’argent est un mal pour le sport et il le pourrit. Je ne parle même pas d’éthique ou de morale, je parle uniquement sur le plan de la performance. Quand on embourgeoise les sportifs, ils perdent de leurs capacités. Prenez l’exemple d’un jeune prodige du football jouant sur un terrain vague d’une favela au Brésil. Il est uniquement passionné par le ballon. S’il devient riche à travers le sport, il va certainement se passionner par l’argent, le sport deviendra alors secondaire.

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Certains joueurs commettent beaucoup plus de fautes que leurs partenaires. Faut-il voir derrière ce comportement récidiviste des « pulsions masochistes », un désir d’être puni par l’arbitre ?

 

 

Photo de Jean-Charles BouchouxIl faut faire attention de ne pas enfermer tout dans une seule et même explication. C’est une hypothèse, il y en a d’autres. Cela peut aussi correspondre à un désir de toute puissance, de penser être au dessus des règles. C’est un désir très infantile, on se souvient que quand on est gamin ce qui est volé a bien meilleur goût que ce qui est gagné. Cela peut aussi être comme vous dites une forme de masochisme. On peut fauter souvent pour se faire exclure de l’équipe soit par l’arbitre, ou à force par son entraîneur. Autre motif à ce comportement, la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être aimé peut chez certains devenir insupportable. La raison de cette attitude quelque part autodestructrice peut être de chercher à mettre fin à cette pression par une exclusion temporaire, ou définitive.

Peut-on donc aller vers l’échec volontairement d’une manière inconsciente ?

 

 

 

Photo de Jean-Charles BouchouxToute expérience de vie en général, un match de rugby par exemple, apporte des sensations de plaisir mais génère également la peur de perdre ou de ne pas être à la hauteur, ce qui crée des tensions à l’intérieur de chaque individu. Le comportement du sportif est influencé sur le terrain par ce que l’on peut appeler les pulsions de vie et les pulsions de mort. Les pulsions de vie vont nous pousser vers la gagne, et les pulsions de mort vers l’échec. D’une façon naturelle le psychisme évacue nos tensions, cependant chacun d’entre nous a en lui ses propres limites quant à la tolérance de ces tensions. Et à un moment donné l’échec a un effet libérateur, il fait retomber immédiatement les tensions. Contrairement à ce que l’on peut penser, l’échec a un côté rassurant. Un individu peut donc inconsciemment préférer renoncer à la victoire pour se libérer de ses tensions s’il a trop de mal à les supporter. Une fois qu’on est par terre on n’a plus peur de tomber: quand on a échoué, on a supprimé la peur de l’échec.

Il est donc important de savoir gérer ces tensions, n’est-ce pas ?

 

 

 

Photo de Jean-Charles BouchouxOui, au rugby comme dans la vie il faut savoir « accepter de réussir ». Chaque rugbyman ou sportif doit avoir conscience de ce conflit d’émotions et de ce mécanisme pour ne pas céder à la tentation du renoncement et courir délibérément vers l’échec pour se libérer de ses tensions. Il appartient ensuite à chacun de trouver en soi les leviers à actionner au bon moment pour ne pas craquer psychologiquement quand la partie se complique. Pensez tout simplement que si les tensions s’élèvent à un moment donné, il y a de fortes chances que pour votre adversaire il en soit de même: ne lâchez rien, soyez plus fort que lui, tout simplement 😉

Merci pour ces précieux conseils Jean-Charles Bouchoux, et bonne continuation !

Merci à vous, pareillement

 

 

Dans son livre intitulé « Les pervers narcissiques, Jean-Charles Bouchoux explique les mécanismes mis en jeu dans ce type de relations dites toxiques. Il dresse un panorama des origines de la perversion mentale et il indique la frontière entre la normalité et la perversion.

Cet ouvrage à la portée de tout public et illustré par de nombreux exemples est aussi utile que passionnant.

 

 


Laurent Delmas.

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