Première résolution: vouloir gagner !!!
C’est triste à dire, mais le tournoi des 6 nations est en train de devenir un vulgaire entraînement pour préparer la coupe du monde de rugby. Quel dommage de galvauder ainsi une aussi belle compétition !!! Un match du tournoi n’est pas un entraînement, c’est la restitution des acquis à l’entraînement. Ce n’est pas un exercice à blanc mais un examen, on doit tirer à balles réelles sous peine de se faire tirer dessus (comme ce fut le cas cette année). « Quand on participe à une compétition, c’est pour la gagner« . Tout est dit dans cette maxime de Max (Max Guazzini, qui ne croyait pas si bien dire à l’aube de sa première saison au plus haut niveau avec le Stade Français), le XV de France doit avoir comme objectif principal la victoire dans le tournoi, ou alors on n’y va pas. Actuellement, le mot « gagner » a disparu du vocabulaire des entraîneurs et des joueurs: on travaille, on construit un groupe, on met en place un projet de jeu en vue de la coupe du monde, on cherche à emmagasiner de la confiance (et à se rassurer un peu, non ?), mais on a l’impression que la victoire dans la tournoi est devenue accessoire. Pendant ce temps-là, l’Italie et l’Écosse jouent au rugby, et elles le font bien, posant de plus en plus de problèmes aux nations dites fortes comme la France ou l’Angleterre qui ont déjà la tête à la coupe du monde.
Le tournoi des 6 nations doit redevenir une priorité pour le XV de France, on s’en est éloigné ces dernières années. La coupe du monde, c’est seulement tous les quatre ans, c’est éphémère, ça se joue seulement sur deux, voire trois matchs capitaux et aucun joueur n’est actuellement assuré d’y participer. Dans les sports collectifs, le long terme n’existe pas, le seul objectif doit être le prochain match. Arrêtons de vivre dans le futur, seul le présent est important.
2°_ Choisir un buteur à long terme pour le XV de France
Cela fait 100 ans que l’on perd contre les anglais et on n’a toujours pas retenu la leçon. Pour bâtir leur équipe nationale, les britanniques commencent d’abord par choisir un buteur qui va sauf accident être titulaire au moins cinq années et enquiller plus de 1000 points durant sa carrière internationale. Ensuite, ils construisent le reste de l’équipe autour. Le buteur attitré, débarrassé de la pression du « vais-je être titulaire samedi ?« peut se concentrer à faire ce qu’il fait de mieux: buter. Installé dans un fauteuil en équipe nationale, il devient rapidement un métronome et est adulé par tout un peuple qui lui pardonne toutes les erreurs qu’il pourrait bien commettre ballon en main.
En équipe de France c’est différent: des joueurs comme Romain Teulet, ça ne nous intéresse pas. Nous les gaulois on s’en fout des pénalités, ce qu’on veut c’est marquer de beaux essais pour passer à Stade 2. Nous sommes des esthètes préférant la beauté du geste au résultat. Il n’y a aucune honte à copier ce que les autres font mieux que nous (même si ce sont des anglais), et ce n’est pas un déshonneur que de gagner un match grâce à des pénalités (on constate d’ailleurs que les essais viennent souvent après les pénalités). Choisissons donc un véritable spécialiste des tirs au but pour le XV de France et donnons-lui une chance sur du long terme.
3°_ Arrêtons de massacrer notre demi d’ouverture
En France par tradition, nous avons deux boucs émissaires: le président de la république et l’ouvreur du XV de France. Que ce soit Nicolas Sarkozy ou François Hollande, que ce soit Frédéric Michalak ou François Trinh Duc, dès que ça va mal ce sont eux qui paient l’addition. C’est comme ça, à chaque résultat décevant du XV de France, notre pauvre demi d’ouverture focalise à lui seul environ 90% des critiques. Pourquoi donc sommes-nous plus exigeants avec le joueur qui endosse le numéro dix qu’avec un ailier ou un seconde ligne par exemple ? Comparer le poste d’ouvreur et celui du président de la république n’est pas un hasard, ces deux personnages ont en commun d’être ceux qui prennent les décisions. Et en France, on n’aime pas les gens qui décident, on a toujours l’impression qu’on aurait fait mieux à leur place (rendez-vous compte, si on les laissait faire, ils risqueraient de réussir !!!).
Il ne me viendrait pas à l’idée de dire que Johnny ne sait pas chanter, mais combien de rugbymen en France, peut-être frustrés de jouer seulement en réserve dans leur club, se permettent de dire que Michalak ne sait pas jouer ? On dit qu’on a pas de dix en France, mais on ne fait vraiment rien pour les aider. Frédéric Michalak et François Trinh Duc ont fait de bons débuts sous le maillot tricolore, mais au fil des matchs, à moins d’être sourd et de ne pas lire les journaux, il faudrait être sacrément solide mentalement pour ne pas se mettre à douter sous le feu des attaques permanentes. Et si on leur foutait un peu la paix à nos demis d’ouverture, est-ce qu’ils joueraient mieux ?
4°_ Sélectionnons chaque joueur au poste qu’il occupe en club
« Oui à la polyvalence du geste, non à la polyvalence du poste ». Les joueurs passent très peu de temps ensemble pour préparer les matchs internationaux, ils n’ont donc pas le temps de trouver leurs repères, à plus forte raison à un poste qui n’est pas le leur, et puis tout simplement ça n’a jamais vraiment donné de bons résultats de changer de poste un joueur. Lors du tournoi 2013, Wesley Fofana a été placé au centre… du débat. Heureusement l’éventuel malaise en coulisses a été dissipé, Philippe Saint André ayant changé son fusil d’épaule en titularisant finalement le montferrandais au poste de trois quart centre où il peut pleinement exprimer son potentiel. Coup de chapeau au passage à Wesley Fofana qui, malgré une pression bien compréhensible au moment de retrouver son poste (à Twickenham qui plus est !), n’est pas passé à côté du match et a su saisir sa chance. Au vu de sa prestation au centre, il est désormais peu probable de voir à nouveau Wesley à l’aile du XV de France. Ouf !
Reste à régler le cas Michalak. Sur la lancée de sa saison avec les Sharks (avec lesquels il jouait en dix), il a fait une excellente tournée en Argentine au mois de juin, évoluant au dessus du lot et très à l’aise dans le costume d’ouvreur. Cependant à Toulon il joue neuf, et il a de plus en plus tendance à se comporter comme un second demi de mêlée plutôt qu’un dix avec le Quinze de France. Ses transmissions avec ses centres ne sont plus aussi fluides, son jeu au pied est moins judicieux. L’idéal serait qu’il joue à l’ouverture à Toulon, mais cela ne dépend pas que de lui, les besoins d’un club ne coïncidant pas forcément avec ceux du XV de France.
5°_ Exploitons au maximum le potentiel du rugby français
Selon le site http://www.irb.com/, (*même s’il manque l’Argentine et si les dates de mise à jour par pays ne sont pas indiquées*) on peut établir un classement mondial du nombre de licenciés senior masculins par pays:
- Angleterre 131 399 seniors homme
- Afrique su Sud 113 174
- France 110 270
- Australie 57 766
- États Unis: 50 211
- Japon: 48 470
- Nouvelle Zélande 27 726
- Irlande: 25 440
- Malaisie: 25 000
- Pays de Galles: 22 408
- Madagascar: 16 750
- Italie: 15 848
- Écosse: 11687
Seules trois nations dont la France dépassent le chiffre de 100 000 seniors, devançant très largement la quatrième nation, l’Australie avec seulement 57 766 seniors. L’Angleterre, l’Afrique du Sud et la France devraient donc dominer le rugby mondial, n’est-ce pas ? Mais cherchez l’erreur, c’est la Nouvelle Zélande (en rouge sur le classement), ce petit pays de 4,4 millions d’habitants, qui domine la planète rugby avec un réservoir de seulement 30 000 joueurs seniors. À chaque génération les All Blacks ont été capables de produire des joueurs du calibre des Dan Carter, Tana Umaga, Jonah Lomu, Zinzan Brooke ou bien Grant Fox. Les néo -zélandais sont les rugbymen qui tirent le mieux profit de leur potentiel. Vous me direz, il n’y a pas que le nombre de licenciés qui compte. Et bien quoi, l’argent ? Si on établissait le classement des budgets des fédérations et des championnats nationaux, je suis sûr que la Fédération Française de Rugby ne serait pas la plus à plaindre.
La Fédération Française de Rugby a des moyens gigantesques, des infrastructures, et le potentiel en nombre de joueurs pour figurer parmi les toutes meilleures fédérations au monde. Il ne faut jamais en douter, et ne pas jalouser les autres nations. Aller chercher des joueurs étrangers pour notre équipe nationale ou notre championnat n’est pas une solution, c’est un aveu d’infériorité. Nous devons exporter nos rugbymen au lieu d’en importer d’autres. Produisons un jeu made in France avec des joueurs formés en France, et travaillons pour améliorer encore notre filière de formation. Ce sont nos jeunes rugbymen issus de nos centres de formation qui doivent pousser nos « vieux » à la retraite et repousser les joueurs étrangers, en étant meilleurs qu’eux tout simplement. C’est cette ambition qu’il faut leur donner, et c’est la responsabilité du futur du rugby français que l’on doit leur faire porter. Cela ne suffit pas de faire partie de l’équipe de France des moins de 20 ans, cela ne sert à rien d’avoir un costard de la FFR dans son garde robe. Si l’on compare la France (avec ses 110 000 seniors) à ce qui se fait de mieux dans le monde à savoir les All Blacks (et leur 30 000 joueurs), on récolte la mention « peut mieux faire ». Alors faisons mieux, modifions si nécessaire notre Top 14, revoyons le calendrier international, optimisons la préparation physique et le temps de récupération , soyons beaucoup plus ambitieux et rigoureux dans la formation de nos joueurs et devenons meilleurs que les All Blacks sur du long terme.
6°_ Et enfin, un peu d’enthousiasme !!!
Quand Philippe Saint André prend la parole pour annoncer son quinze de départ, on a l’impression qu’il va annoncer la liste des victimes d’un crash aérien. Ensuite il doit se justifier, voire se défendre face à une presse un brin accusatrice, le tout dans une ambiance morose. Dans le Top 14 également la tension est palpable, le stress permanent. Les entraîneurs demandent aux joueurs de prendre du plaisir en jouant mais au fait, les entraîneurs français prennent-ils du plaisir à entraîner ? Ce n’est pas très évident lors des interviews d’après match. Pourtant un entraîneur est par définition un homme qui influence le groupe, il transmet ses états d’âme et devrait générer en toutes circonstances de l’ambition, de l’enthousiasme et de l’envie et ne pas au contraire transmettre la peur de la relégation dès le mois d’octobre. Certes en France nous avons un calendrier démentiel, la pression de l’argent, du résultat, la peur de descendre et nous ne pouvons échapper à l’influence d’autres paramètres extérieurs au sport (y aurait-il un effet crise ?). Mais le rugby reste un jeu et devrait au contraire être un échappatoire à la morosité ambiante, un lieu de fête et de rêve. Acceptons l’incertitude du résultat qui fait tout l’intérêt du sport. Après tout, ce n’est pas une catastrophe nationale d’avoir perdu le tournoi, on en a vu bien d’autres en cent ans de rugby. Les erreurs commises par les joueurs ou les entraîneurs du XV de France sont tout à fait pardonnables. Comptons sur eux pour rectifier le tir et ce dès le prochain match. Ce n’est pas grave de perdre, ce qui serait grave serait de ne rien apprendre de ces défaites.
Les doublons entre le tournoi et le championnat sont une source de conflits d’intérêts entre les clubs et la Fédération, ce qui est néfaste pour les résultats du XV de France. Et si on commençait par instaurer un Top 13 avec seulement une montée/descente pour libérer des dates, diminuer à la fois le spectre de la relégation et le grand écart financier que doivent faire les clubs entre Pro D2 et Top 14 ?
Qu’en dites-vous ?
Laurent Delmas, envoyeur spécial de « Rugby à XV de France »
Twitter: @Hiboulot